Marie-Laure Trains professeur de Français au Collège d’Argentat raconte
l’action menée durant l’année scolaire 2005-2006
Je suis professeur de français dans un petit collège rural de Corrèze (300 élèves) et je souhaiterais vous faire part d’une action qui nous tient beaucoup à cœur, ce qui nous pousse à vous encourager à tenter la même expérience.
Le projet d’établissement du collège public d’Argentat est axé sur l’action citoyenne et la solidarité. Depuis plusieurs années, grâce à l’appui de Madame la Principale, et en concertation avec l’Association LARM 36 (Les Amis de la Roumanie et de la Moldavie), les élèves ont multiplié les actions en faveur des enfants roumains défavorisés.
L’idée est partie d’un spectacle en octobre 2003 qui traitait des enfants-esclaves dans le monde. Les élèves ont été bouleversés par ce qu’ils ont appris. En classe, nous avons longuement travaillé sur le thème des droits de l’enfant. En particulier, nous avons débattu de l’importance de l’instruction, de la nécessité d’aller à l’école et d’étudier dans de bonnes conditions.
Julie, élève de 6e, a dit une phrase qui restera toujours gravée en moi : « Apprendre à lire et à écrire à un enfant, lui donner une feuille et un crayon, c’est lui offrir la liberté ».
Elle avait tout compris. Dans ces moments-là, on se dit qu’on a la chance extraordinaire d’exercer le plus beau métier du monde.
Il était impensable d’en rester là. Un ami journaliste s’intéressait à la Roumanie ; nous en avons discuté et je me suis lancée, sur un coup de cœur. Une gouttelette dans l’océan…
En 2003-2004, du matériel scolaire (cahiers, classeurs, stylos, crayons de couleur, feutres, trousses, feuilles, petits livres de bibliothèque en français…) d’un montant de 1800 € a été récolté et envoyé à des collégiens de la région de Cluj pour leur permettre de travailler à l’école dans des conditions décentes.
En 2004-2005, les élèves de 6e ont étudié des musiques traditionnelles et de nombreux contes roumains. Les 5e ont fait une exposition sur le thème de la Roumanie et en particulier sur le personnage de Dracula, inspiré d’un prince roumain historique du XVe siècle, Vlad l’Empaleur, célèbre pour sa cruauté. Grâce à Internet, il s’est établi une correspondance entre les collégiens d’Argentat et ceux d’Aghiresu et un conte franco-roumain à deux voix a été élaboré.
En 2005-2006, le collège a choisi d’organiser une opération de parrainage d’études.
Mme Maryse Cramalières de l’Association LARM 36, est revenue à Argentat pour présenter à nos élèves des dossiers concernant de jeunes roumains particulièrement sérieux et travailleurs qui n’ont pas les moyens financiers de continuer leurs études.
Nos élèves ont été très étonnés d’apprendre que leurs camarades roumains considèrent leur cartable comme leur trésor le plus précieux et ont été émus de voir dans quelles conditions déplorables (comparables à celles vécues par nos propres grands-parents) vivent ces collégiens ou lycéens qui n’hésitent pas à marcher des heures, parfois même dans la neige, pour se rendre à l’école ou à faire des ménages chaque soir pour gagner seulement quelques euros par mois avec lesquels ils peuvent acheter un peu de nourriture pour leur famille.
J’ai fait faire des comptes-rendus à mes classes (6e et 5e) et je peux vous assurer qu’un grand nombre d’élèves ont pris conscience de la chance qu’ils avaient de vivre dans notre pays, de pouvoir étudier et s’en sortir (malgré les difficultés de tout ordre, chacun en est bien conscient). Ils ont appris à relativiser leur situation particulière et même ceux qui sont en rejet scolaire ont réfléchi à ce sujet.
Suite à cette conférence animée avec beaucoup de conviction par Mme Cramalières, l’opération « 1 élève – 1 euro » a été lancée pour financer l’année scolaire de Maria, jeune fille particulièrement méritante, qui a fait l’admiration de tous. Il nous fallait 570 €. Avec la participation de tous les membres de l’établissement, nous devions pouvoir y arriver…
J’étais la coordinatrice au niveau du collège mais chaque professeur principal m’a secondée enrécoltant l’argent dans sa classe
Nous avons fabriqué des affiches exposées dans tout le collège ; nous avons écrit des lettres pour Maria ; les élèves ont parlé de l’opération autour d’eux ; ils ont fait des gâteaux pour les vendre lors des réunions parents-professeurs… Certains, passionnés de musique et emportés par leur élan, voulaient enregistrer des chansons qu’ils avaient eux-mêmes écrites et les vendre ! Pour ne rien vous cacher, les suggestions partaient un peu dans tous les sens, et certains soirs, j’avais l’impression d’avoir déclenché quelque chose que je n’arrivais plus à maîtriser… Mais tout le monde, en particulier les élèves, faisait montre d’un tel enthousiasme que ça valait bien quelques inquiétudes.
Dès le lendemain, l’argent a afflué : des pièces d’un euro, parfois de la petite monnaie, parfois plus « C’est mon argent de poche de la semaine / du mois », « J’ai raconté à mon grand-père et il m’a donné ça pour Maria »…C’était extraordinaire. Sans arrêt, des élèves m’interpellaient dans la cour : « Combien on a, madame ? », « Il manque beaucoup, encore ? ».
Nous avions choisi de mener l’action sur trois semaines, et nous avons bien fait car, si les premiers jours, nous avons été submergés par l’afflux des dons, à la fin de la deuxième semaine, la vague est retombée, les choses se sont calmées.
Nous n’avions pas la somme suffisante (il manquait 150 €). Et puis ont commencé les réunions parents-profs : 1 niveau par soir. Les élèves volontaires et parfois même des mamans ont fait des gâteaux, sont venus les vendre, ont sillonné les couloirs avec le dossier de Maria pour en discuter avec les parents qui attendaient. Entre deux rendez-vous, j’ai vu de grandes discussions entre adultes et enfants : « Tu sais, moi, mon père, pour aller à l’école, il devait… », des parents attentifs et attendris qui souriaient devant la mobilisation et l’enthousiasme de ces gamins. C’était absolument formidable.
Grâce à la générosité et à la contribution dynamique des élèves, des parents, et du personnel du collège, l’opération a été un franc succès. 873 € ont été récoltés en seulement trois semaines soit le financement intégral de cette année scolaire pour Mariaainsi qu’un versement de plus de 150 € pour les études de deux autres jeunes filles.
Les élèves se sont agglutinés comme des abeilles autour d’un pot de miel quand j’ai affiché la fin de l’opération. Et puis, les nouvelles questions ont fusé :
« Quand Maria va-t-elle recevoir l’argent ? Est-ce qu’elle nous écrira ?... »
De fait, à présent, nous nous considérons un peu comme les parrains de Maria et nous attendons avec impatience de ses nouvelles. Il est évident que nous continuerons à l’aider dans la poursuite de ses études.
Je ne saurais trop vous encourager à monter le même type de projet avec vos élèves. C’est une source de motivation et de fierté que de se sentir utile et de mener à bien uneopération concrète. Ce n’est pas anonyme, on se mobilise pour quelqu’un dont on a vu la photographie, dont on connaît la vie et les difficultés, quelqu’un que l’on va suivre à long terme, quelqu’un qui va réussir (du moins, nous l’espérons) un peu grâce à nous. C’est très gratifiant. Voilà ce que disent les élèves.
Quant à moi, je suis extrêmement fière de mes gamins et je suis très très heureuse d’avoir contribué à aider une jeune fille méritante à poursuivre ses études. C’est le plus beau cadeau que l’on pouvait lui faire. A plus longue échéance, j’espère avoir réussi à planter quelques jolies petites graines dans la tête des mes élèves.
En tout cas, il ne faut pas que l’opération dure trop longtemps sinon les gens se démobilisent (2-3 semaines maximum) et il faut choisir la période avec soin. Nous avions choisi la rentrée des vacances de Toussaint : Noël arrivait à grands pas, nous avons discuté des cadeaux, de l’argent de poche, de ce que chacun attendait de cette fête, puis de ce qu’une somme dérisoire pour la plupart d’entre nous peut représenter de vital pour d’autres… Bref, nous avons parlé de fraternité et de solidarité.
Certains diront que, dans notre pays, de nombreux enfants sont aussi en grandes difficultés. C’est vrai. Mais je pense que ce genre de projet serait très délicat à mettre en place pour de multiples raisons. Et puis, le projet s’est monté comme ça, sur un coup de cœur, dans une crise d’indignation, sans préméditation, si j’ose dire… C’est le hasard qui l’a voulu. A présent, nous sommes sur des rails, et nous avons tous la volonté et l’envie de poursuivre.